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« Aucun respect » : Emmanuelle Lambert ne se cache plus

« Aucun respect », d’Emmanuelle Lambert, Stock, 226 p., 20 €, numérique 15 €.
Sélectionné pour le Prix littéraire « Le Monde » 2024
Sur la couverture de Mon grand écrivain (Les Impressions nouvelles, 2009), une photographie montrait Alain Robbe-Grillet (1922-2008) au premier plan, à côté d’une juvénile Emmanuelle Lambert, de profil, visage caché par ses cheveux. Ce récit ­retraçait, à la deuxième personne, leur relation nouée au fil du travail sur les archives que l’auteur des Gommes (Minuit, 1954) avait léguées de son vivant à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC).
Quinze ans ont passé depuis ce texte ­liminaire d’Emmanuelle Lambert, née en 1975. Celle-ci a consacré plusieurs livres à d’autres écrivains : Apparitions de Jean Genet (Les Impressions nouvelles, 2018), Giono, furioso (Stock, prix Femina essai 2019), ainsi que Sidonie Gabrielle Colette (Gallimard, 2022). Elle a également évoqué son propre géniteur (Le Garçon de mon père, Stock, 2021) et publié trois fictions (Un peu de vie dans la mienne, La Tête haute – Les Impressions nouvelles, 2011 et 2013 – et La Désertion – Stock, 2018). Et la voilà qui revient au « pape du Nouveau Roman » avec le très galvanisant et drôle Aucun respect.
Sur la photo du bandeau de couverture, l’autrice est seule, cette fois, de face, léger sourire en coin, regard itou. Et l’on perçoit dans ce passage d’une image à l’autre, entre un ouvrage inaugural et le neuvième d’une autrice en pleine maîtrise de ses moyens littéraires, une illustration de la phrase placée en épigraphe, empruntée à l’écrivaine britannique ­Deborah Levy : « C’est déjà assez dur d’apprendre à devenir écrivain mais apprendre à devenir un sujet, c’est épuisant. »
« Devenir un sujet » ne signifie pas que l’autrice écrive « sur » elle, dans la fascination de sa personne. Mais au contraire qu’elle est capable de se placer suffisamment à distance d’elle-même et des événements pour pouvoir se traiter en « sujet » semblable aux autres. Et cesser ainsi de « se planquer », comme l’y enjoignait son éditeur dans Giono, furioso.
Si Aucun respect s’appuie, de toute évidence, sur des faits réels, il le fait avec la liberté annoncée par le titre narquois de ce texte à la troisième personne et à l’imparfait, qui se révèle être un roman d’apprentissage. Celui d’une jeune femme qui, embauchée à l’« Institut » pour classer les archives d’Alain Robbe-Grillet (le seul, avec sa femme, Catherine, à apparaître ici sous son nom), va faire son éducation intellectuelle, sociale et sentimentale, au tournant des années 2000. Son éducation « de genre », aussi : elle et ses amies doivent « s’arranger avec le fait que leur corps semblait devenu chose publique », naviguer entre les remarques paternalistes et les gestes déplacés, subvertir en douce les hiérarchies.
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